Les deux Ombres

Assise dans un recoin de la taverne, Gwen contemplait songeuse la pinte de bière poser sur la table devant elle. Cette fois ci elle avait jeté son dévolu sur "Le trèfle d'argent" une taverne un peu huppée du quartier des défenseurs. La salle principale aux murs de pierres blanches et de bois s'étendait sur deux étages. Le soir venait de tomber et il n'y avait à présent plus que quelques marchands humains et nains sans doute venu faire du commerce à Ilya qui s'attardaient autour d'un chope et d'un bon repas. Gwen elle avait décidé de s'installer un peu en retrait non loin des énormes tonneaux qui se trouvaient derrière le comptoir du tavernier. Ainsi isolée elle avait peu de chance d'être dérangée. Se demandant si c'était par un quelconque attachement à son ancienne vie d'humaine qu'elle avait choisi ce soir le quartier des Défenseurs, elle repensa aux derniers événements. Son attaque du convoi transportant la recette des impôts locaux avait partiellement avorté à cause de son mystérieux assaillant. Ce souvenir lui tira une moue boudeuse. Elle n'avait eu le temps que de dérober deux sacs d'or à peine, bien piètre performance. Devenir un bandit craint et réputé ( pour les bandits l'un ne va pas sans l'autre ) ne commençait pas sous les meilleurs auspices. Elle se demanda qui pouvait bien être cette personne en voulant ainsi à sa vie. Etait ce un chasseur de prime ? Si c'était le cas peut être était ce le début de la renommée finalement. Elle avait cependant été surprise de la facilité avec laquelle il avait renoncé à sa traque. Peut être attendait il un meilleur moment pour frapper ? Peut être s'était il tout simplement dégonflé. Cette pensée un brin optimiste réussit à lui tirer un sourire. Elle en profita pour boire la moitié de sa choppe sans retenu. Un acte que beaucoup de vampires trouveraient indigne de leur nature. Gwen quand à elle pensait qu'il fallait bien jouir des petits privilèges si rare du vampirisme. Et celui de pouvoir boire sans jamais s'enivrer en était un et non des moindres.

Puis elle reporta son attention sur la salle. D'autre personnes commençaient à arriver et le petit groupe de barde chargé de l'animation, venant de finir un passepied commença à jouer une gigue. La musique la fit replonger dans d'anciens souvenirs. Les montagnes, les fêtes dans les villages, Farell et son luth. Elle se demanda ce qu'il était devenu, espérant de tout son coeur que tout allait pour le mieux pour lui, et ce où qu'il soit. Dans une vie non souillée par les vampires, sans doute aurait elle pu continuer à voyager avec lui pour toujours suivant le cours du vent. Mais le destin en avait décidé autrement. En un sens peut être y gagnait elle ? Le vampirisme l'avait doté de nouvelle facultés et avait coupé ses derniers liens. Elle avait pu s'affranchir de sa famille, s'affranchir au moins en partie de la loi en empruntant la voie du grand banditisme. Tout ceci lui avait peut être ouvert la porte de la liberté après tout. C'est alors que quelque chose coupa court à ses réflexions. Elle n'y avait pas prêté attention au depuis son arrivée ici, mais à présent ses sens plus aiguisés lui rapportait une infime présence. Elle porta alors son regard vers le fond de la salle, non loin de la porte de la réserve. Tapis dans les ombres, quelqu'un l'observait depuis le début...

« Un exécuteur est une ombre. Une ombre est discrète, une ombre est silencieuse. »

Tel l'ombre, je me fonds dans la masse, inaudible, insaisissable...

« Tu ne t'adresseras à autrui que si ta mission le nécessite. »

Je ne parle que si ma mission le nécessite...

« Utilise les faiblesses de ton ennemi pour le séduire, et frapper. »

Je sais manipuler mes cibles par des mots, et ainsi les atteindre lorsqu'elles ne s'y attendent pas...

Silencieux, rapide, je me faufile parmi la foule des habitants lambdas. Autour de moi tous s'agitent dans une sorte d'effervescence qui n'a qu'un but: les tavernes. Lieux de rencontres et de beuveries jamais étanchées.
Le soir finissait de couvrir le ciel d'encre noir, l'heure ou les travailleurs de jour terminent leur journée et s'offre un repos bien mérité au bar, autour d'une choppe d'alcool. Certains rentreront peut être chez eux, d'autres s'endormiront sûrement dans un caniveau après une soirée de débauche.
Aucun doute sur ce point, ces rues m'offraient un camouflage parfait, et personne ne fit attention à moi. Mais le pouvaient ils ?
Observant la foule de mon regard perçant, je repérai enfin ma cible. Elle ne devait pas m'échapper.

« N'échoue jamais une mission. »

Jamais je ne ratais ma cible. Jamais une exécution ne se concluait par un échec.
Utilisant la foule, je suivis discrètement ma cible, cette personne qui devait mourir. Ma mission d'aujourd'hui était dangereuse. Car mon maître m'avait mit cette fois sur les traces d'un autre assassin. Un assassin est imprévisible, un assassin surveille ses ennemis autant que ses cibles.

« Ne ressent jamais la peur. »

La peur n'atteignait jamais mon esprit. La peur n'était qu'une autre méthode de manipulation.
J'accélérai le pas. Ma cible ne sembla pourtant même pas ressentir ma présence.
Quelque chose me surprenait dans son attitude... Elle ne jetait aucun regard scrutateur autour d'elle, ne tournait pas la tête. Elle semblait uniquement concentrée sur son objectif et avançait discrètement à travers la foule.
L'évidence frappa mon esprit: cet assassin était en traque lui aussi. Et à en juger par son attitude d'extrême concentration, il n'allait pas tarder à atteindre sa cible.
Cela m'offrait une parfaite opportunité de distraction.
Je poursuivi ma chasse et vit la cible entrer dans une taverne, sans doute à la suite de sa propre proie.
Quelques esquives au milieu de la foule et je me retrouvai devant le bâtiment de pierres blanches. L'endroit était bondé, et bruyant.
Je rabattis alors ma capuche en arrière sur mes épaules pour ne pas me faire remarquer une fois à l'intérieur et entrai.
Au premier coup d'œil je repérai ma cible, assise à une table contre le mur, et m'avançai d'un pas naturel vers le font de la salle où je me fondis dans les ombres du mur.
Mon regard se porta immédiatement sur ma cible, qui elle ne pouvait distinguer la direction de mes yeux faute d'un meilleur angle. Mais l'assassin ne m'accorda pas la moindre attention. Il ne lâchait pas des yeux une personne assise à une table de l'autre coté de la pièce.
Intéressé, je suivis son regard et observait sa cible.
C'était une jeune fille, assise devant une choppe de bière. De carrure fine, la silhouette gracieuse et les cheveux auburn coupés courts, elle avait cette apparence agile que possèdent les voleurs. Les deux dagues que je repérai à sa ceinture confirmèrent mon hypothèse.
Pourquoi l'assassin en voulait à cette personne ? Je n'en savais rien. Tout ce qui comptait pour moi était que cela allait m'offrir une parfaite opportunité d'attaque, lorsque l'assassin se déciderait à achever sa traque.
Surveillant ma cible du coin de l'œil, je continuai d'examiner la victime potentielle avec insistance. Quelque chose dans son comportement m'intriguait, sans que je sache exactement quoi. Une peau pâle, des yeux virant au rouge, et surtout, cette aura qui faisait penser à un prédateur, même alors qu'elle ne faisait rien d'autre que de boire sa bière.

« Ne te laisse jamais distraire de ta mission par quoi que ce soit. »

Il fallait que je garde un esprit concentré pour mener à bien mon exécution. Je décidai donc de détacher mes yeux de cette inconnue. Mais avant que j'ai pu mettre en œuvre ce plan, la jeune fille releva brusquement la tête et me regarda droit dans les yeux.
Mon regard croisa ses iris de sang et je compris qu'elle était parvenu à percevoir ma présence. Elle me voyait.
Quelques secondes passèrent sans que je puisses détourner les yeux. Quelques secondes qui faillirent me faire perdre l'opportunité que j'avais.
Je remarquai soudain que l'assassin s'était levé et s'avançait vers sa cible, suivant un groupe de badauds qui se dirigeaient vers le comptoir. Je réagis immédiatement et me fondis à nouveau parmi les clients de la taverne, pressant le pas.
A l'intérieur de ma cape, ma main se referma sur mon épée-sabre. L'assassin se rapprochait silencieusement de sa proie sans s'apercevoir de ma présence. Je n'étais plus qu'à quelques pas de lui, et déjà mon esprit se préparait à frapper.
Mais je fus soudain interrompu par un nain imbibé d'alcool qui me barra la route:

« Eh toi, l'elfe ! Cria t'il d'une voix rendue rauque et chevrotante par la boisson. Qu'est z'tu fais là d'abord ? Tu crois que pazque t'es une fille je vais me gêner pour te dire z'que j'pense d'vous les elfes ? Z'êtes que des prétenzieux v'la z'que vous z'êtes ! Et puis d'abord... »

Coupant court à son débat d'alcoolique, je lui enfonçai deux doigts dans la nuque, ce qui eut pour effet de l'envoyer au pays des rêves.
Ma cible avait reprit de l'avance et s'apprêtait à attaquer. Une de ses mains s'était emparée de la dague courbée qu'elle cachait dans son dos.
Je forçai l'allure et arrivai à quelques pas de lui au moment où il frappait sa proie. A ma grande surprise celle ci esquiva le coup sans grande difficulté, et la dague traversa la table de bois, où elle resta plantée.
C'était le moment que j'attendais. Libérant mon arme, je bondis en avant. Ma main libre attrapa la nuque de l'assassin et utilisa la surprise de celui ci pour l'immobiliser. Je me collai à ma cible et mon épée sabre remonta le long de ma cape, pour se loger dans sa poitrine. L'assassin, une humaine d'une trentaine d'années, en eu le souffle coupé. Le poumon perforé, il ne pouvait pas crier, pas réagir. Je maintins fermement ma prise et penchait mon visage tout près de son oreille.

« Mon maître t'envoie ses sincères salutations... » murmurai-je, répétant les phrases qu'on m'avait dictées.

La femme me jeta un regard d'incompréhension et parvint à gargouiller un mot:

« Qu... qui... »

« Je suis l'exécuteur. » répondis-je simplement.

Puis je lâchai doucement ma victime, la faisant assoir sur une chaise, où elle demeura immobile. Quiconque aurait regardé dans notre direction aurait pu croire qu'elle s'était endormie après avoir trop bu.
Je ramenai alors mon arme sous ma cape et l'essuyai discrètement.
C'est alors que je me rendis compte que la jeune fille qui était la cible de l'assassin n'avait pas bougé et m'observait.

Gwen se levait doucement. C'était presque imperceptible mais en se concentrant et en usant de ses sens aiguisés de vampire elle pouvait sentir une infime présence là bas, au fond dans le noir. La dissimulation est tout sauf un art aisé. Elle l'avait en partie appris avec Farell. Comment détourner l'attention d'un passant par un geste subtil avant de lui faire les poches, comment se glisser discrètement dans une pièce pour y dérober un butin. Mais là elle avait affaire à un tout autre type d'art. La personne l'observant se découpait harmonieusement ainsi que sa tenue dans le noir de ce recoin de l'auberge. Son souffle, ses mouvements, le moindre de ses battements de cils étaient minutieusement mesuré de telle sorte que n'importe quel quidam aurait pu passer à quelques centimètres de lui sans s'apercevoir de sa présence. Gwen se demanda qui pouvait bien être se mystérieux individu, cette ombre fugace qu'elle ne pouvait que ressentir et non voir. Si il en avait après elle, cela n'augurait rien de bon...

Elle songea qu'elle ferait peut être bien de quitter la taverne afin de voir si son mystérieux inconnu avait l'intention de la suivre et au besoin le forcer à révèler son visage à découvert. A moins de provoquer une bagarre et de profiter de la confusion pour le semer ? Un groupe de clients obstrua alors sa vue. La chose ne dura que quelques secondes. Quelques secondes qui permirent à l'inconnu de s'éclipser. Le groupe quitta son champs de vision. Elle fixa à nouveau les ombres mais la présence avait disparu. Gwenaëlle se prépara se concentrant pour éveiller ses sens. Sa main gauche descendit légèrement vers sa dague de droite jusqu'à en saisir la poignée. Soudain son attention fut attirée par un nain qui manifestement éméché apostropha un jeune elfe pour lui dire les quatre vérités sur son peuple. Plusieurs choses se passèrent alors très rapidement. L'elfe abordé par le nain n'eut pour seule réponse aux allégations de l'autre un léger coup dans sa nuque qui l'assomma aussitôt. Gwen sentit au même moment une présence derrière elle. Quelqu'un tenta de la poignarder dans le dos. Grâce à ses réflexes elle esquiva sans grande difficulté l'assaut, la dague manquant sa cible alla se planter dans la table en bois. Lamentable, si l'on peut dire. Elle s'apprêtait à riposter en se retournant et d'un revers de sa dague trancher la gorge de son assaillant quel qu'il soit. Chose qu'elle n'eut jamais le temps de faire.

Le jeune elfe qui venait de se débarrasser si habilement du nain avait profiter de l'attaque manquée pour saisir l'attaquant une jeune humaine par la nuque et se coller à elle. Il eut un mouvement de cape et Gwen aperçu l'espace d'un instant l'éclair d'une lame. A en juger par les yeux de la victime qui s'écarquillèrent la seconde qui suivit, elle avait rempli son office. L'elfe reposa délicatement le corps inerte sur une chaise. Personne n'avait rien remarqué et la jeune femme ne semblait que cuver un quelconque alcool. A présent le doute n'était plus possible. C'était bien lui qu'elle avait deviné parmi les ombres. Gwen avait parfois entendu parler des assassins. Certains pensent que ce n'est qu'un mythe, d'autre une superstition. Farell lui avait parfois parlé de ces personnes capable de tuer d'un seul coup aussi précis que mortel et de disparaitre sans laisser de trace. Des êtres pour lesquels tuer est une chose aussi naturelle que respirer. Et elle en avait un sous les yeux. L'elfe releva la tête et vit alors que Gwen le regardait et n'avait rien perdu de la scène qui venait de se dérouler. Voilà qui était gênant. Il en avait peut être lui même après elle et n'avait tuer l'autre que pour ne pas se faire voler sa proie. Ou bien c'est l'autre assassin qu'il devait tuer auquel cas il avait accompli sa mission. Seulement voilà, Gwen l'avait vu. Et de ce fait elle devenait un témoin gênant. Afin d'assurer sa survie, elle se devait de mettre les choses au clair avec lui. Mais pas ici. Elle devait l'attirer dans un endroit plus calme. Le moment était venu d'user d'un autre de ses dons de vampire. D'après ce qu'elle avait pu apercevoir, il possédait une arme de type moyen. Elle avait pour elle la dague, une arme courte. Plus ils étaient près l'un de l'autre, plus elle pourrait tirer profit de cet avantage. Elle s'avança donc vers lui d'une démarche gracieuse. L'hypnose a le pouvoir d'altérer quelque peu la perception que les autres ont des choses. Dans le cas présent elle s'en servait pour accentuer son charme naturel. Se rapprochant près du jeune elfe, elle posa une main sur son torse et de l'autre garda la main sur la poignée de sa dague. Elle hocha ensuite légèrement la tête en le fixant droit dans les yeux puis dit d'une voix suave :

_ "Eh bien il semblerait que je vous doive une fière chandelle. Mais ne restons pas ici, l'endroit ne restera pas sûr longtemps".

Depuis le temps qu'elle pratiquait cet exercice de séduction, Gwenaëlle n'avait jamais vu quelqu'un refuser d'accéder au moins en partie à ses demandes. Pourtant, l'assassin resta de marbre. Gwen continua de le regarder dans les yeux, dans l'attente de sa réaction...

Quelque chose de bien étrange se produisait à l'instant même.
Quelque chose qui parvint à me surprendre malgré moi. Tout d'abord cette jeune s'était avancé vers moi, déclenchant immédiatement mes réflexes conditionnés d'exécuteur. Les bras toujours dissimulés derrière ma cape, je relevai de nouveau mon épée-sabre, portant la lame au niveau de mon ventre. L'approche d'un individu quel qu'il soit représentait toujours une menace, c'est ainsi que mon maitre me l'avait enseigné.

« Ne te laisse jamais surprendre, ne baisse jamais ta garde. »

Les muscles tendue, malgré mon visage impassible, je regardai donc cette jeune femme s'approcher de moi par des mouvements souples et légers.
Ce fut à ce moment que je commis l'erreur de me laisser surprendre. Il suffit d'un regard, un simple échange oculaire, pour que je me retrouvai entre les mailles d'un filet. Car à l'instant même ou mes pupilles plongèrent dans celles de la jeune femme, je sentis un brouillard peu naturel m'envahir l'esprit. Quelque chose se passait, et la partie de mon cerveau qui était en mesure de réfléchir correctement parvint à mettre un mot à la tête de ce phénomène: hypnose.
La brume qui tentait de briser toutes les résistance de mon esprit se heurta néanmoins à la barrière que formait mon conditionnement mental. Moins sûr de mes gestes, j'en restai pourtant impassible, ne montrant aucune marque de trouble sur le visage.
La partie embuées de mon esprit vit la jeune femme s'approcher de moi avec douceur et poser une main sur mon torse.
Ce fut ce contact qui, mélangé à mon entrainement mental, me rendit assez de lucidité pour faire un pas en avant et porter délicatement la lame de mon arme au niveau de la taille de mon interlocutrice, sans pour autant la toucher.

« Eh bien il semblerait que je vous doive une fière chandelle. Mais ne restons pas ici, l'endroit ne restera pas sûr longtemps. »

Les mots ainsi prononcer par la jeune femme mirent plus de deux secondes à atteindre mon esprit, toujours embrumé. Je n'aimais pas cette sensation, elle était contraire à mes ordres, contraire à ce que je devais faire.
Ne détachant pas mes yeux de ceux de mon interlocutrice – mais le pouvais-je vraiment ? – je finis par hocher lentement la tête, pas entièrement certain de ce à quoi je donnais mon approbation.
Sortir, il fallait sortir.
Oui, il fallait trouver un endroit moins peuplé, pour que mon esprit retrouve cette liberté qu'on était en train de lui voler.
Mon visage ne perdant rien de sa neutralité, j'offris mon bras à la jeune femme de manière tout à fait naturelle, et nous traversâmes l'établissement comme si nous nous connaissions depuis longtemps.
Se fondre dans la foule, s'adapter pour retiré toute suspicion du regard des gens, c'était le maitre mot de l'assassin. Ma main libre continuait de tenir fermement mon épée-sabre, et je ne doutais pas que la jeune femme qui m'accompagnait devait en faire de même avec sa propre arme.
Nous sortîmes tout deux de la taverne et, de concert, nous nous dirigeâmes vers une rue vide qui sillonnait entre deux séries de maisons très rapprochées.
Enfin libéré de la pression des regards, je lâchais le bras de la jeune femme. Comme si la fin du contact venait de briser le sort qu'elle m'avait lancé, mon esprit retrouva peu à peu sa clarté.
Je m'écartais alors, ramenant mes bras sous ma cape et m'effaçant dans une ombre créée par le mur d'une habitation. J'observai de nouveau la jeune femme. Mon regard était à présent aiguisé comme le fil d'un couteau, analysant celle qui m'avait fait perdre ma concentration mentale, repérant la moindre de faille.
Quelque chose m'intriguait dans son allure et sa façon d'agir. Elle n'était pas une de ces humaines voleuses de grand chemin qui vol pour le compte des Défenseurs. Etait elle d'ailleurs vraiment humaine ? J'en doutais de plus en plus. Ses yeux rouges, ses mouvements d'une grâce supérieure à celle de nombreux elfes, cette hypnose à laquelle je m'étais laissé prendre malgré moi et qui aurait pu me coûter la vie...

« Vampire... » chuchotai-je soudain d'un souffle à peine audible.

S'il fallait combattre un nouveau vampire, le lieu et l'heure n'était pas à mon avantage. La douleur encore vive de la blessure au bras que m'avait infligé le dernier être de cette race que j'eus rencontré me rappela à quel point un affrontement avec l'un d'entre eux était périlleux.

« Ne laisse personne te barrer la route. »

Voyant la main de la jeune femme qui, cachée derrière son dos, semblait tenir quelque chose avec fermeté, je raffermis la poigne que j'avais sur ma propre arme.

« Analyse ton adversaire, comprend ses faiblesses, et frappe quand il ne s'y attend pas. »

Je continuai d'observer celle qui ne pouvait être qu'une vampire. Analysant la situation avec rapidité, je compris rapidement que bonne carte à jouer cette fois était celle de la communication.
J'ouvris donc la bouche pour prendre la parole.

« Ne parle pas. »

Je m'immobilisai soudain. Je n'avais pas reçu l'ordre de parler. Rien dans les instruction de mon maître n'avait laissé supposer que je puisse dire autre chose que ce qu'il m'avait dicté.
Indécis, la bouche de nouveau close, je restai immobile.
Je finis pour toute conclusion par hocher la tête dans un salut bien peu original.

Gwen resta quelques secondes seulement à attendre la réaction du jeune elfe qui se tenait contre elle. Pourtant elles lui semblèrent des minutes. Non pas que se tenir contre lui était une chose déplaisante au contraire. Mais face à quelqu'un d'aussi impassible, impossible de deviner quel serait sa réaction. Finalement il finit par hocher la tête en signe d'approbation. L'assassin lui offrit son bras qu'elle saisit puis tel un jeune couple ils traversèrent ainsi l'auberge jusqu'à sa sortie; Les autres clients ne leur accordèrent guère d'attention la plupart occuper à discuter ou boire. Si quelques personnes leur lancèrent un regard, celui ci ne leur rapporta somme toute que la vision d'un couple alangui. Or la réalité était tout autre. Sous les pans de son habit elle tenait fermement empoigné le manche de sa dague. Nul doute que celui contre qui elle était appuyée devait en faire de même avec sa propre arme. Gwenaëlle vit la porte de sortie se rapprocher et sentit l'air frais de la nuit sur son visage. Elle compta les pas qui les en rapprochait, bientôt elle ne pourrait plus compter sur la protection que lui offrait la traversée d'un foule en plein territoire ennemi. Ils passèrent devant un dernier groupe attablé puis s'engouffrèrent dehors. Là ils tournèrent à gauche et s'engagèrent dans les ténèbres d'une ruelle obscure.

Libérés enfin des regards leur contact se brisa soudainement et ils s'écartèrent et reprirent leur distances. Les masques étant tombés ils allaient pouvoir s'affronter au grand jour. L'elfe instinctivement se plaça en retrait dans les ombres. Pendant ce temps Gwen réfléchissait. L'ayant vu accomplir son travail, elle était devenue un témoin gênant. Pourtant elle aurait bien été en peine de raconter la scène à laquelle elle avait assisté à quiconque; Pourquoi diable l'aurait elle fait ? Elle ne pouvant en retirer aucun profit. De plus elle ne faisait plus partie du camps des Défenseurs et qu'un de leur membre meurt assassiné par un membre du camps des Justes ne lui faisait ni chaud ni froid. Nul doute que de leur côté les Défenseurs ne se privaient pas pour envoyer leurs propres assassins exécuter sans remords ceux d'en face. C'était pour ainsi dire de bonne guerre. En apparence les deux camps faisaient semblant de cohabiter pacifiquement mais en sous sol ils pouvaient s'en donner à coeur joie pour s'entretuer comme ils l'avaient fait pendant les siècles derniers. Finalement elle venait de découvrir un autre avantage du vampirisme : la position neutre qu'il offrait. Elle se demanda si son providentiel sauveur partageait la même opinion. Elle ne pouvait en courir le risque.

_ "Soit" fit elle, "Jouons cartes sur table voulez vous, il est inutile de se le cacher je vous ai vu accomplir votre travail. Pourtant je vous prie de croire que je me moque éperdument que vous ayez tué cette humaine. Je propose donc que nous en restions là".

En face l'assassin resta silencieux. Examinait il les risques de sa proposition ? En tout cas cela avait le don de la mettre mal à l'aise. Autant surenchérir.

_ "C'est de l'or que vous voulez ? Pour le prix de mon silence ? Demandez donc, j'en ai à foison !"

Un nouveau silence accueilli cette nouvelle offre. Aussi étrange que cette idée puisse paraître, il lui semblait que l'elfe qui lui faisait face avait du mal à parler. Non pas en raison d'un quelconque problème de diction, mais parce qu'il ne semblait pas avoir l'habitude même de prononcer le moindre son. Le silence qui en résultait face à quelqu'un qu'elle ne voyait qu'à moitié était quelque peu oppressant. Il fallait cependant qu'elle obtienne quelque chose de lui.

_ "Eh bien" dit elle sentant l'impatience la gagner "Parlez donc !"

Elle fixa alors son interlocuteur droit dans les yeux attendant qu'il réagisse.